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Chroniques
création de Postlude à l’épais de Philippe Leroux
œuvres de Beat Furrer, Ofer Pelz et Rebecca Saunders
Avant les quarante ans de l’Ircam, la saison prochaine, savourons aujourd’hui le final d’une édition ManiFeste placée sous le signe de l’Arte Povera – résonnance à l’exposition sise dans les étages du Centre Pompidou, jusqu’au 29 août –, où Salvatore Sciarrino [lire nos chroniques des 8 et 30 juin 2016] et Beat Furrer furent à l’honneur (lotófagos I, Linea dell’orizzonte, etc.). Explorant la relation entre temps et mouvement, l’idée d’immobilité et celle de dissolution, Aer (Martigny, 1991), un classique ircamien, jouit d’une interprétation tout en finesse de trois membres de l’ensemble Meitar, fondé à Tel Aviv en 2004. On est notamment séduit par une clarinette en retrait, à la limite de l’audible, face à un violoncelle plus présent [lire notre critique du CD].
Ancien étudiant à Jérusalem, actuel doctorant à Montréal, Ofer Pelz (né en 1978) s’est aussi perfectionné au conservatoire du Blanc-Mesnil, en composition et en électroacoustique. Inspiré par l’image du sang gorgeant la terre, trouvée dans les hymnes nationaux français et israélien, marchons marchons (Milan, 2015) comporte deux sections. D’un tempo lent, la première propose effleurements, souffles tendres, harmoniques et pizz’ livrés comme au ralenti – l’alliance du cristallin et du cotonneux, qui met en avant la délicatesse d’exécution évoquée plus haut. L’arrivée d’un mouvement perpétuel marque l’entrée dans la seconde, plus animée et parcourue de traits rapides. Ce quintette donne envie de découvrir d’autres œuvres d’un musicien soucieux d’énergies (Equilibrium), de frontières (Do bats eat cats ?) et de mutations (Chinese whispers, Blanc sur blanc).
Autre invitée récurrente du festival, cette année [lire nos chroniques des 16 et 25 juin 2016], Rebecca Saunders (née en 1967) signe avec Shadow (Salzbourg, 2013) une étude pour piano avec pédale sostenuto, laquelle explore « le jeu de l’ombre, les nuages harmoniques verticaux de densités et complexités variables ». L’ennui l’ayant emporté sur l’intérêt malgré la virtuosité de l’interprète, passons vite aux deux dernières œuvres au programme, conçues par Philippe Leroux (né en 1959) [photo] avec la conviction qu’il faut moins partir de la cellule vers le complexe que d’une pluralité d’éléments vers ce qui leur est commun.
Résident auprès de l’ensemble invité, Leroux lui dédie Postlude à l’épais, volet d’un triptyque en cours d’écriture qui offre un quintette identique à celui de Pelz, son ancien élève : flûte, clarinette, piano, violon et violoncelle. Le but est d’explorer la notion d’épaisseur compositionnelle (densités, timbres, etc.), mais aussi temporelle, à partir d’un événement qui se distend pour faire émerger « toutes sortes de folies plus ou moins organisées ». Souffles et crissements se mêlent aux cordes grattées du piano, prélude à une pièce riche en textures et climats, et d’un humour décomplexé qu’autorise une construction solide.
On retrouve une amorce de ce travail dans le bien connu Voi(rex) – que portaient déjà Donatienne Michel-Dansac et Pierre-André Valade, à la création de 2003 –, à savoir des mots transparents issus de conglomérats sémantiques indéchiffrables et un humour certain, enveloppant la poésie de Lin Delpierre [lire notre critique du CD]. Comme la prestation récente de Georg Nigl dans Eight songs for a mad king [lire notre chronique du 26 mai 2016], celle du soprano fascine dans ces cinq mouvements réclamant souplesse, nuance et grand souffle. En attendant de retrouver la chanteuse sur scène, on pourra passer l’été avec son tout dernier enregistrement Aperghis, regroupant Récitations et Tourbillons (Umlaut Records #UMFR-CD15).
LB